Y’a-t-y quelqu’un qui roule à soir ?
La moto est un symbole de liberté pour plusieurs. Or il me semble contradictoire de lire quotidiennement sur les réseaux sociaux LA question que je n’arrive pas à comprendre …
« Y’a-t-y quelqu’un qui roule à soir ? »
Depuis que je suis revenu à la moto voilà plus de 25 ans, et c’était pareil avant aussi, quand le cœur m’en dit, j’enfourche ma moto et je roule, roule, roule …
Pendant de nombreuses années, du début avril à la fin octobre ma moto était mon véhicule quotidien pour aller et venir au boulot. Étant consultant en informatique, j’avais un certain nombre de clients, et donc un certain nombre de lieux de travail. Le matin comme le soir, ma courte échappée quotidienne me permettait de profiter de la route pour me mettre dans le « mood » du travail le matin et pour me remettre dans un état autre lors du retour vers la maison. Il m’arrivait souvent de ne pas suivre une ligne droite entre la maison et le boulot et de faire ainsi quelques détours … parfois intéressants et parfois déroutants !
Depuis cette même période j’ai aussi pris le temps de faire quelques, voire de nombreuses, expéditions un peu partout en Amérique du nord, ainsi que sur d’autres continents. Mais jamais, jamais, je n’ai attendu après qui que ce soit pour m’élancer.
Bien sûr, il m’arrive d’inviter quelques copains, triés sur le volet, à se joindre à mes aventures. Et même depuis quelques années j’ai le plaisir, et le privilège, de guider des groupes en voyage organisés à moto. Et il m’arrive aussi d’être client sur des voyages à moto avec d’autres organisations. On parle ici d’aventures qui dépassent le quotidien, qu’il est souvent plus raisonnable d’entreprendre en étant quelques-uns, juste au cas où. Ou encore dans des cas où la logistique demande un travail de préparation qui sort de l’ordinaire.
Qu’est-ce qui peut bien faire en sorte que quelqu’un lève la main en demandant :
« Y’a-t-il quelqu’un qui roule à soir ? », ou
« Y’a-t-il quelqu’un qui roule dans le bout de … ? »
D’où vient ce besoin de se rassembler à d’autres pour rouler ?
De suivre quelqu’un juste pour quitter l’entrée de sa résidence.
Pas pour entreprendre quelque aventure hors de l’ordinaire, ni pour vaincre quelque obstacle insurmontable … non, non, juste pour partir rouler.
Je crois avoir ciblé quelques situations …
La crainte de rouler seul(e).
Il y a des motocyclistes, débutants pour la majorité semble-t-il, qui sont craintifs à l’idée de s’élancer sans être entourés … même pour aller « pas loin ».
À ceux-là, je souhaite d’être d’abord bien entourés, de façon à prendre tôt de bonnes habitudes plutôt que des mauvais plis. Et je leur souhaite aussi de trouver leur voie, leur façon de rouler à eux, à elles. De ne pas être dépendant de qui que ce soit pour s’élancer !
Le besoin de faire partie d’un groupe.
Je crois deviner dans d’autres cas un besoin de faire partie d’une gang, d’un groupe. Comme si cela allait les mettre à l’abri de quelques mésaventures … ou leur insuffler une maîtrise particulière de leur moto. Ou transformer les banales destinations en haltes magiques où le bonheur de rouler serait multiplié par le nombre.
À ceux-là, je souhaite de se découvrir par l’intérieur. De prendre confiance en leurs capacités et de réaliser qu’ils existent par eux-mêmes et qu’ils n’ont pas à se définir à travers un groupe.
Le besoin de ressembler aux autres …
Pour d’autres me semble-t-il, la fusion avec un groupe de semblables répondrait à un besoin de s’approcher d’une image qu’ils se font du motocyclisme. En se rapprochant de motocyclistes qui ont, ou qui projettent, l’image à laquelle ils veulent s’associer … ils se rapprochent de cette image. Et cela va jusqu’à adopter des comportements qu’ils n’auraient pas en temps normal en tant qu’individus – des comportements parfois discutables mais qui deviennent « acceptables » quand ils s’expriment au travers du groupe.
À ceux-là, je souhaite de lâcher l’image et de trouver la leur propre. Non pas tellement une image, mais une réalité qui sera la leur. Et de devenir cohérents avec eux-mêmes et découvrant leur propre voix, oui, leur propre voie.
Ne pas tout mettre dans le même plat …
Si vous me suivez jusqu’ici vous aurez compris que ce que je ne comprends pas, c’est ce besoin criant de s’attacher à quelqu’un d’autre pour exprimer cette liberté individuelle si propre au motocyclisme.
Car il y a bien des cas où rouler en groupe, ou avec quelques copains, est la bonne chose à faire. Par exemple, pour partir en moto hors route sur des chemins difficiles – il va de soi qu’il y est plus raisonnable de ne pas être seul.
Ou encore pour partir dans une aventure organisée où les distances, les destinations, ou la logistique présentent des défis inhabituels. On comprend qu’il est intéressant de se joindre, le temps de l’aventure, à un groupe.
Ou encore une occasion spéciale, par exemple un voyage en groupe qui prend une signification particulière. La présence des « chums », les souvenirs partagés, l’entraide au besoin sont des traits marquants de telles aventures.
Et il y a des associations de motocyclistes. De tous les types de motocyclistes. Sportives ou routières, longues ou courtes distances, locales, régionales, provinciales ou même nationales. Pourquoi ne pas en trouver un qui vous convienne et ne plus avoir à lever la main ainsi ?
Qui sait, vous pourriez même vous y impliquer !
Il y a plein de raisons de ne pas rouler seul …
Mais qu’est-ce qui vous retient de partir seul ?
Je reviens donc à mon questionnement initial …
À ceux et celles qui lèvent la main ainsi pour quémander « qui roule à soir ? »
Qu’est-ce qui vous retient ?
Qu’est-ce qui fait qu’il vous faille suivre quelqu’un pour que la sortie trouve sa signification, pour oser vivre ce sentiment de liberté propre à la moto ?
La liberté d’être libres !
Peut-être qu’il y a des choses que je ne comprends pas, ou que je ne comprendrai jamais.
Peut-être qu’il s’agit d’un phénomène amplifié par certains aspects des réseaux sociaux.
Peut-être qu’il y a des gens pour qui la liberté, celle qui nous est si chère, est dans les faits dépendante d’une conformité forte. Où le désir de ressembler est finalement plus fort que le besoin, ou le goût, de s’exprimer et de vivre librement.
Libérez-vous, osez !
Alain Labadie, Éditeur en chef et Pilote d’essai
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