Point de Friction #2 – Avril 2019

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Point de Friction #2 – Avril 2019

Les hauts et les bas dans la vie d’une moto (ou la première fois …)

Vous serez surpris d’apprendre que cette chronique fut écrite par une moto.

Je sais cela semble difficile à croire, mais comme les autos et même les avions peuvent prendre vie au grand écran, pourquoi pas une moto dans une chronique parlant justement de motos ?  

Bonjour, je me nomme GPZ550, je fus produite au milieu de l’été 1983 afin de combler la demande, car comme pour l’année dernière, suite à sa  première saison en version mono-amortisseur, la GPZ550 demeure la monture à posséder dans sa classe.

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Prenant place dans la salle de montre d’un concessionnaire du Bas du Fleuve je ne croyais pas y rester si longtemps. Pas que je n’adorais pas mon emplacement près du comptoir des pièces (je pouvais y entendre tous les potins), mais comme toutes les autres motos, j’avais bien hâte de sortir nettoyer mes pneus ! Les semaines, puis les mois passèrent, je semblais collée au plancher. Pourtant j’étais la moto la plus populaire et la plus efficace de ma classe selon tous les magazines spécialisés !

J’eus ma réponse un vendredi soir de décembre. Les modèles 1984 commençant à arriver, je pus apercevoir par la porte de l’atelier mécanique une autre 550 mais cette version étant disons un peu plus au goût du jour en s’inspirant directement du modèle étendard de la marque, la flamboyante GPZ1100.  Carénage de tête de fourche plus enveloppant que mon petit saute-vent fixé au guidon, cadrans sur le réservoir de forme plus coulée, nouvelle suspension arrière entre autres. Bref, elle était définitivement plus sexy ! Le lendemain, en écoutant les clients venus s’attrouper autour de la nouvelle coqueluche je ne pus que constater que je n’étais plus la saveur du moment. Je m’en doutais un peu, mais plus grande fut ma surprise lorsque j’entendis que non seulement Yamaha s’attaquait sérieusement eux aussi à la classe des 550-600cc avec leur FJ600 (une Seca 550 passablement améliorée) mais que Honda laissait tomber leur CBX550 pour une toute nouvelle Interceptor 500. Avec son V4 à quatre valves refroidi au liquide, sa roue avant de 16 pouces et son cadre périmétrique, on passait vraiment à autre chose…

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La semaine suivante j’étais reléguée à l’arrière-boutique avec les modèles  de seconde main. J’y amassai la poussière (n’étant plus bichonnée aussi souvent qu’à l’époque où j’étais encore un modèle courant). Maintenant j’étais celle qui serait vendue à rabais… Un jeudi soir de mars étrangement doux pour la saison, un père et son fils de 16 ans franchirent la porte grinçante qui démarquait le service de notre salle des estropiées/non désirées. Comme tous les jeunes de 16 ans, celui-ci désirait se payer la dernière nouveauté (la bitch qui avait pris ma place près du comptoir) mais son père, plus raisonnable lui mentionna que pour plusieurs centaines de dollars de moins (658$ incluant la taxe de vente de 9%, j’avais eu le temps de faire les calculs) il pouvait se procurer une aussi bonne moto (moi) et il lui resterait du budget pour s’acheter un manteau de cuir Drospo et un casque Shoei Z100 tous les deux disponibles à 200$ chacun. Le bonhomme alla même jusqu’à astiquer mon réservoir afin de finir de convaincre le jeune que ma couleur rouge vif était en fait plus belle que le gris du modèle 84. En fait le père fait une meilleure job de vente que le vendeur, ce dernier n’ayant qu’à récolter le chèque du garçon. Deux semaines plus tard, Jean-Marie avec son permis tout frais en poche vient me chercher et nous débutâmes la plus belle des saisons moto. Facile d’être la plus belle, il s’agissait de notre première et nous découvrions plein de coins ensemble. Bien sûr, être la première monture d’un débutant de 16 ans m’en fit voir de toutes les couleurs. À son crédit, mon gentil propriétaire lu et relu scrupuleusement mon guide d’utilisation. Il respecta même le rodage à la lettre, créant quelques bouchons de circulation durant les premier 200 kilomètres.

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Une fois le rodage terminé, ma première vidange d’huile complétée et mon inspection sous garantie réussie haut la main, les choses sérieuses débutèrent.  Comme je m’y attendais, J-M voulut vérifier tous les chiffres publiés de mes performances. Tout y passa : quart de mille chronométré un peu tout croche par sa jeune sœur de 12 ans avec une montre numérique Casio, vitesse de pointe dans un rang désert d’où les vaches en bordure dans leur pâturage se sauvèrent en l’entendant passer, tests de freinage qui faillirent nous envoyer nous râper sur l’asphalte (après deux essais il conclut que ce serait suffisant)  et un fameux test d’autonomie qui l’amena à me pousser sur 8 kilomètres tant il avait été optimiste sur ma consommation…  Nous passâmes près de nous encastrer dans un tracteur vers la fin juillet, son conducteur effectuant un virage à gauche au moment où nous nous apprêtions à le dépasser.  Une chance que Jean-Marie pilotait toujours en se ménageant une porte de sortie, il réussit donc à nous ralentir considérablement et à contre-braquer une fois rendu à la hauteur du Massey-Ferguson, l’évitant de justesse. Le fermier, la pipe au bec n’eut pas le temps de lui demander si tout était sous contrôle, nous redécollâmes dans un nuage de poussière sur l’accotement.

Trois étés suivirent. Nous avons visité les quatre coins de la province avec des voyages de plus longue durée sur la Côte Est des États-Unis. Puis, à l’hiver de 1988, Jean-Marie vint me voir en compagnie d’une charmante demoiselle. Croyant qu’il allait enfin se servir de ma portion passager pour ce à quoi elle était destinée (jusqu’ici il n’y avait placé que des bagages !) j’envisageai cette visite comme une bonne chose. Je l’avais tout faux. À ma vue, la jeune femme changeât d’expression et lui fit promettre de ne jamais l’emmener sur une telle machine infernale, puis ils ressortirent du hangar. Je me disais qu’après tout ce que nous avions vécu ensemble au cours de ces 28 567 km elle ne viendrait pas nous séparer et il comprendrait que c’était elle ou moi, le choix était facile… Ce fut elle… Au printemps, personne ne vint me sortir de mon remisage. Le printemps suivant non plus… Ce fut ainsi durant 12 ans.

Douze années sans revoir la route, le vent, le soleil la pluie. Puis, au printemps de l’an 2000 (heureusement j’avais survécu au bug) un grand barbu vint faire son tour accompagné du père de Jean-Marie. Je pus entendre ce dernier vanter mes mérites et expliquer la raison de ma longue inactivité. Mon propriétaire ayant déménagé en Australie avec sa « douce » ! Après évaluation de ma valeur (sous une épaisse couche de poussière et de toiles d’araignées) le marché fut conclu pour 500$. Attachée sur la remorque ouverte je pris la route comme jamais je ne l’avais fait auparavant, comme passager.  Durant le trajet je me demandais ce que mon barbu avait en tête. Voulait-il me vendre outre-mer comme ce fut le cas pour plusieurs de mes contemporains ? Voulait-il que je lui serve de vulgaire réserve de pièces ?  Je compris quelques heures plus tard lorsqu’il me débarqua dans son atelier.  Mon nouveau propriétaire  était en fait un coureur dans la série VRRA (Vintage Road Racing Association) et il m’avait choisie pour disputer le championnat canadien dans la classe Period 4 F2 afin de se frotter à des bicylindres de 750cc ou des 250cc deux temps. Je constituais donc un bon compromis avec lequel il comptait bien tirer son épingle du jeu.

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Ce qu’il fit d’ailleurs avec brio. Mon barbu (qui se nommait Réal) remporta la moitié  des courses auxquelles nous participâmes, nous octroyant du même coup le titre de la classe. Je dois dire que j’étais fière pas à peu près! La saison suivante nous étions prêts pour rééditer nos exploits, mais une vilaine chute en pratique nous laissa passablement amochés. Mon pilote décida de prendre sa retraite et me donna à son beau-frère qui disait avoir une idée en tête… Lorsque je le vis allumer son chalumeau et s’approcher je me dis que je n’aimais pas son idée…

Plusieurs mois plus tard je fus présentée à ses chums, une sympathique gang de tatoués ! Ils me prirent en photo mais ne connaissaient rien de mon histoire, juste qu’ils me trouvaient plus belle comme ça que d’origine… Lorsque je pus m’apercevoir dans le reflet d’une boucle de ceinture je faillis faire déborder mes quatre carburateurs!  Je me trouvais laide, peinturée en blanc, mes ailes coupées, mon saute-vent et mes caches latérales enlevés, je me trouvais un peu trop dépouillée à mon goût. Mais quand on est une moto on doit subir et se taire, ce qui n’était pas évident avec un quatre dans un évidé… Je dus me rendre à l’évidence que j’étais désormais une machine « à la mode ». 

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Un soir lors d’un « meet » un bonhomme dans la cinquantaine vint voir le beau-frère (je ne connus jamais son nom !) et lui demanda s’il était intéressé  à m’échanger contre une Yamaha XS650. Je me dis en moi-même que jamais l’échange ne se fera, moi, une machine de rêve échangée contre un vulgaire bicylindre parallèle poussif ! Et bien j’avais encore tout faux, un high five conclut la transaction. Qu’allais-je devenir ?  Un moteur pour fendeuse à bois ? Un petit tour de fourgonnette plus tard j’eus ma réponse. Le gars en question était un collectionneur de machines des années 80. Pas juste un ramasseur de vieilles affaires. Il possédait un lot impressionnant de pièces neuves dans leur emballage d’origine. Il se mit à la besogne me démontant complètement et me refit une beauté. Aujourd’hui je partage sa section GPZ avec des compères en version 305, 750, 750 turbo et 1100cc.

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Que me réserve l’avenir ?

Aucune idée, mais pour une machine que certains qualifiaient de jetable, j’ai eu droit à toute une vie !

Marc Paradis, Éditeur Senior
MagazineMoto.com

 

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