Les mots de l’édito – 3 décembre 2018 – Où sont les femmes motocyclistes ?

Où sont les femmes motocyclistes ?
 
Bikeuse, Motarde, Biker Chick, … pourquoi pas simplement motocycliste ?
 
Vous lisez ici la 54ième version de ce billet – et j’exagère à peine.
Ce texte est long, peut-être trop. Mais s’il vous plaît ne vous arrêtez pas en cours de route.
 
Écrire un texte éditorial, c’est prendre position, exprimer un regard et tenter de voir vers où on s’en va. Et ça se fait nécessairement à partir d’un regard, d’un point de vue – parfois imparfait. Mais j’assume et je vous partage mon point de vue à partir de faits, d’anecdotes et de quelques réflexions. Je vous invite à réagir si je suis dans le champ.
 
Je vous présente d’abord cinq facteurs qui ont déclenché cette réflexion. Évidemment, ma vision des choses est assise sur mon point de vue d’observateur – votre vision pourrait mener à des constats différents si vous voyez les choses différemment…
 
J’aborde cinq facteurs pour étayer ma réflexion :
 
– Négatif – Craintes et appréhensions, manque de connaissances – une anecdote
– Négatif – Pas sans un gars – parcours initiatique non autonome
– Négatif – Stéréotypes abondants et persistants – pas contributif à l’image positive
– Positif – Quelques données du milieu et de l’industrie – plus de femmes motocyclistes
– Positif – Disponibilité de motos plus petites et présentant plus de dispositifs d’assistance au pilotage – accessibilité accrue
 
Abordons ces facteurs l’un après l’autre :
 
Premier facteur (craintes/appréhensions et manque de connaissances)
 
Le point de départ, c’est une rencontre faite au hasard d’un voyage qui me faisait sillonner les routes reculées de la Pennsylvanie. À une station-service, pendant que je faisais le plein, une dame s’approche et engage la conversation. Tout en parlant avec elle, je constate qu’elle est motocycliste et que sa moto est cachée derrière un autre îlot de pompes – ce qui explique que je ne l’avais pas vue ni entendue en arrivant puisqu’elle était déjà là lorsque je suis arrivé. Mais elle, elle m’a vu !
 
Elle m’explique qu’elle pilote une toute petite moto (une Kawasaki KLX 250) et s’extasie en regardant la mienne – c’est mon premier voyage avec ma nouvelle monture, une BMW R1200GSA qui peut, aux yeux de certains, avoir un caractère assez impressionnant par sa hauteur, sa présence visuelle et sa gueule un peu baroudeuse.

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Note: Nous avons fait l'essai de la Kawasaki KLX 250 plus tôt cette saison. 
 
 
 
Au fil de la discussion, elle me dit à quel point je suis chanceux de pouvoir aller là où je veux. Et ça fait résonner une corde sensible ! Quand je lui demande en quoi je suis plus chanceux qu’elle, elle m’explique que comme femme, elle n’ose souvent pas aller là où aurait parfois envie d’aller.
 
Plus loin dans la discussion, je comprends que ses craintes sont de deux natures différentes. La première, c’est sa crainte d’échapper sa moto et de ne pas pouvoir la relever. La seconde, c’est d’être une proie potentielle…
 
Sa première crainte est assez facile à maîtriser. Nous avons pris le temps de continuer la discussion et à un certain moment, je lui ai offert de lui montrer comment relever sa moto. Mettons qu’elle était craintive. Et que dans ces situations-là, j’ai personnellement une certaine crainte de paraître paternaliste, ou un peu comme un vieux mon’oncle.
 
Mais je crois que la maîtrise de la moto, dans toutes situations, est la première clé vers la sécurité et le plaisir.
 
Parce qu’elle est réticente à coucher sa moto, c’est la mienne que je mets au sol. Et avec ma moto, je lui montre trois techniques pour la relever. La plus classique où accroupi dos à la moto, on se sert de ses jambes, à reculons, pour la relever. Et celle de la prière, où agenouillé près du siège avec le ventre bien appuyé dessus, on remonte la moto d’abord avec ses cuisses et ensuite en faisant de touts petits pas. Et finalement celle où on prend le bout du guidon, en étant en position de force pour ensuite la relever. Et je lui explique que dans chaque cas, il faut d’abord s’assurer que la moto ne bougera pas par elle-même lors de la manœuvre – elle doit donc être embrayée. Et la béquille déployée si c’est de ce côté-là qu’elle s’en va. Enfin, vous voyez le portrait…
 
Confortée par la démonstration, elle accepte de coucher sa moto. La première tentative pour la relever est assez pénible. Elle essaye la méthode à genoux … et voilà que sa moto se relève assez aisément. Comme à chaque fois que des situations similaires se présentent, elle me remercie et affirme que si elle avait su ça avant, sa vie aurait été plus facile.
 
Et la discussion se poursuit. Je ne peux pas faire grand’chose au regard de ses craintes liées au fait qu’elle est une femme. Mais pour en avoir déjà discuté avec d’autres femmes motocyclistes, je lui partage que si elle est sûre d’elle-même et que cela se voit, la plupart des problèmes potentiels resteront loin d’elle. Je comprends que ce n’est pas une vérité universelle et que l’attitude et la confiance en soi ne sont pas des traits qu’on peut changer d’un coup de baguette magique.
 
Alors que je m’apprête à partir, elle me demande par quelle route je continuerai mon chemin. Je sors ma carte routière et lui montre les petites routes que je suivrai. Hasard, c’est par là qu’elle avait envie d’aller mais elle n’osait pas …
 
Finalement, nous avons roulé une petite heure ensemble gravissant une route où le pavage et le gravier alternaient. Et nous avons atteint le sommet de la petite montagne avant de redescendre par un chemin tortueux vers la vallée qui longeait la rivière contournant la montagne conquise.
 
En guise d’adieux, nous avons partagé un café avant de repartir chacun sur sa route.
 
Voilà d’où part cet éditorial … Je rencontre occasionnellement des femmes motocyclistes lors de mes voyages. Et bien souvent, les histoires se ressemblent. Voilà pour le premier déclencheur.
 
Second facteur (pas sans un gars)
 
Le second, c’est une série télévisée récemment diffusée au Québec. Dans cette série, on suit le parcours initiatique de quelques femmes qui s’initient à la moto et au monde de la moto. Enfin, à une certaine vision du monde motocycliste. Cette série est fort bien réalisée au niveau technique – mais les images présentées m’enragent !
 
Pourquoi ?
 
Parce qu’on y voit deux aspects qui m’horripilent. Le premier aspect, c’est que les femmes motocyclistes en question sont parfaitement représentatives d’une vision stéréotypée. Vêtues de vestes à carreaux, de jeans ou de leggings et d’espadrilles, elles prennent la route ! Il y en a bien une ou deux qui portent des bottes …
 
Avec des casques qui seraient plus à leur place dans un musée des horreurs – pas tant à cause du look, mais par le peu de protection qu’ils offrent. Je crois que pour faire de la moto, il faut être vêtu de façon appropriée.
 
Le second aspect qui m’irrite dans cette série, c’est que ça prend un gars pour montrer le chemin et que les filles doivent être en troupeau. Comme si les femmes ne pouvaient pas faire leur propre chemin et assumer leurs choix dans une heureuse autonomie.
 
 
Troisième facteurs (stéréotypes abondants)
 
L’autre facteur qui me fatigue, c’est l’image en général des femmes dans le monde motocycliste. À une extrémité du spectre, on trouve les « poupounnes » de bécyk. Chevauchant des montures habituellement exagérément ornées alors que elles, elles sont à demi-nues. Elles défilent dans différents rassemblements où l’alcool coule plus que l’essence et où les décibels sont largement plus élevés que la moyenne des quotients.  À l’autre extrémité, on trouve de séduisantes « racers » dont les cuirs sont souvent plus flatteurs que protecteurs mais dont on se doute qu’elles ne savent même pas mettre le moteur en marche – encore moins prendre une courbe.
 
Entre les deux, les vaporeuses créatures de rêve, avec des motos de rêve, dans des paysages de rêve … souvent « photoshoppées » de façon plus ou moins habile pour rendre la scène encore plus sirupeuse que nécessaire. Plus souvent passagères que pilotes, elles sont montrées pour mettre en valeur la moto …
 
Quatrième facteur (quelques données du milieu et de l’industrie).
 
Dans un échange sur ma page Facebook personnelle j’ai interpellé quelques amies motocyclistes pour balancer quelques réflexions en préparation à l’élaboration de cet édito.

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Au Québec, il y a 312,000 détenteurs de la classe moto (dont 70,000 femmes)
 
Il y a 188,000 motocyclistes (qui ont immatriculé une moto).
15% sont des femmes (donc 28,200 femmes motocyclistes).
 
Un grand merci à Odile Mongeau et Hélène Boyer qui m’ont partagé ces données qu’elles ont colligées et validées avec la SAAQ dans le cadre de l’élaboration de la quatrième édition de leur excellent guide : Le Québec à moto.
 
 
 
Le nombre de femmes motocyclistes augmente comme le nombre de détenteurs d’une classe moto – mais la proportion des femmes y demeure stable.
 
Et dans les cours de conduite moto, la proportion des femmes est aussi similaire (moins du quart) – donnée validée par notre collaboratrice Mylène Bolduc qui est instructeur de conduite moto.
 
Ce portrait est complété par une récente mise à jour provenant du Motorcycle Industry Council (US) qui fait état que 19% des propriétaires de motos sont des femmes. À titre d’indication, en 2009 elles représentaient 10%, puis 12% en 2012 et 14% en 2014 – une progression marquée.
 
Le ratio serait plus marqué parmi les plus jeunes générations. Elles seraient 22 % parmi la génération X, et 26% parmi la génération Y.
 
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Le lien vers l'affiche est ici : 19% des motocyclistes sont des femmes (USA)
 
Cinquième facteur
(la disponibilité de motos plus petites et présentant plus de dispositifs d’assistance au pilotage).
 
Comme je l’ai récemment souligné dans un autre éditorial, les nouvelles normes européennes Euro 4 et bientôt Euro 5 auront une grande incidence sur les motos disponibles sur nos marchés. Modes de gestion du moteur, ABS, contrôle de traction etc. Cela est combiné à la disponibilité de motos de plus petit gabarit et de plus petites cylindrées.
 
Vous trouverez le texte complet ici : 
 
Pour les femmes qui ont des craintes, justifiées ou non, face à des motos plus grosses, ces nouvelles sont réjouissantes. On a simplement à jeter un coup d’œil aux annonces des nouveaux modèles depuis 2 ou 3 ans pour constater que les motos de plus petit gabarit sont de plus en plus nombreuses et intéressantes.
 
J’ajouterais à ce facteur la disponibilité de vêtements et d’équipements mieux adaptés aux femmes. On ne parle pas ici simplement de couleurs ou de motifs, mais bien de coupe et d’ajustement qui font que les utilisatrices peuvent bénéficier des qualités des vêtements sans avoir l’air de porter l’habit de leur grand frère.
 
Mon expérience des femmes motocyclistes
 
En marge de l’anecdote présentée en ouverture, il m’arrive fréquemment de croiser des femmes motocyclistes lors de mes voyages. Ma façon de rouler fait que je ne me retrouve pas là où il y a des rassemblements bruyants ou arrosés – ce qui a une incidence significative sur les rencontres que je fais, et celles que je ne fais pas.
 
J’ai plutôt rencontré des motocyclistes assumées, heureuses et qui profitaient pleinement de ce magnifique loisir motorisé. Encore une fois à cause de mon genre de fréquentations, la plupart d’entre elles sont en pleine maîtrise de leur moto. Et majoritairement, elles ne sont pas grégaires mais plutôt autonomes. Bien sûr, à l’occasion elles voyagent en petits groupes. Mais, toujours dans mon expérience, ce n’est pas en raison d’une dépendance initiatique envers un gourou quelconque – mais simplement parce qu’elles prennent plaisir à la compagnie d’un ou d’une autre motocycliste.
 
En faisant le tour dans ma tête des femmes motocyclistes que je connais …
  • Elles roulent sur des machines sport, sport-touring, touring, double usage …
  • Elles suivent des cours de perfectionnement, quand elles ne sont pas monitrices elles-mêmes …
  • Elles rêvent de destinations, et la plupart y vont …
  • Elles sont attentives aux autres motocyclistes et aux autres utilisateurs de la route …
  • Elles attirent l’attention partout où elles arrêtent …
  • Elles sont respectueuses et civilisées dans leur comportement …
  • Elles s’impliquent, chacune à leur façon dans le milieu motocycliste …
 
Et c’est là que je voulais en venir.
 
Je suis privilégié de connaître ces motocyclistes-là.
 
Surprise ! Motocycliste est un nom qui n'a pas de genre !
Un motocycliste, une motocycliste, c'est pareil.
 
Allez vérifier dans votre dictionnaire, je vous jure que motocycliste est à la fois masculin et féminin. Sur la route, en moto, que l’on soit un homme ou une femme, pas de différence.
 
Qu’est-ce qui fait qu’il y ait proportionnellement moins de femmes motocyclistes ?
 
Je comprends que dans la tête de celles qui aspirent à faire de la moto il puisse y avoir quelques obstacles – mais y en aurait-il vraiment plus que pour un homme ?
 
À part les préoccupations d’image, dont je comprends que certaines femmes y soient plus attentives que la majorité des ours (dont je suis), je ne vois pas d’obstacle ou de raison qui empêche une femme de devenir motocycliste.
 
Imaginons, un seul instant …
 
Dans le fond, imaginons un seul instant que les femmes, en général, soient moins attirées par la moto. Comme des hommes ou des femmes sont plus ou moins attirés par un loisir ou un autre. Et qu’il en soit bien ainsi.
 
Imaginons un seul instant que toute femme qui a envie de faire de la moto soit accueillie avec respect et considération.
 
Imaginons encore un instant qu’on cesse de faire des différences entre un homme ou une femme motocycliste. Je suis, tu es, il ou elle est, motocycliste.
 
Simplement motocycliste.
 
Que l’on soit un homme ou une femme, motocycliste, accueillons les autres motocyclistes, surtout les débutants. Aidons-les à apprendre à maîtriser leur moto, à se vêtir de façon appropriée, à se comporter de façon responsable et respectueuse et à profiter pleinement de cette magnifique passion qui est la nôtre.
 
Je sais que cela va un peu à l’encontre de mon propos, mais sachez qu’il y a au Québec une association de femmes motocyclistes.
 
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Et au niveau plus large encore, il y a aussi un site de référence et d’information basé à Toronto et fondé par Vicky Gray (pilote de course et instructeur) ;
 
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Par-delà les stéréotypes, les images folkloriques, les préjugés, les appréhensions…
 
Soyons donc simplement motocyclistes !
 
Alain Labadie, Éditeur en Chef
MagazineMoto.com
Patrick Sanchez : le doyen des formateurs de moto au parcours inspirant

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