La Belle Province à moto
Monter du nord des États-Unis pour entrer au Canada par le Québec demande de traverser une frontière internationale. Mais cela amène aussi à franchir une frontière culturelle.
Sur le terrain, vivre cette différence culturelle ajoute une toute autre dimension à un voyage sur deux roues.
La langue est le premier élément qui marque la spécificité culturelle du Québec : la vaste majorité des Québécois parle français. D’ailleurs, le Québec est la seule province dont la langue officielle soit le français. Dès qu’on s’éloigne de la très cosmopolitaine région de Montréal, les gens ne parlent pas, ou très peu, l’anglais. Mais ne laissez pas quelques mots vous empêcher d’apprécier un voyage intéressant. Apprenez un peu de vocabulaire, téléchargez une application de traduction, ou trouvez un ami qui se débouille en français – et allez rouler dans la Belle Province.
J’ai rejoint trois compagnons de route pour le souper à Waterville Valley, au New Hampshire, et le lendemain matin nous avons pris la route en direction de Notre-Dame-Des-Pins au Québec. Notre itinéraire à travers les Montagnes Blanches était une succession de bijoux de pavage; la 49 au New Hampshire, le Kancamagus Higway, Bear Notch Road, Hurricane Mountain Road et la 113 au Maine. À Solon, Maine, nous avons viré au nord sur la US 201, la « Old Canada Road » – qui a récemment été nommée sur la liste des 10 meilleures routes à moto aux États-Unis. Bien que certaines vues de la rivière Kennebec en valaient la peine, nous sommes d’accord pour dire que le créateur de la liste devrait sortir rouler un peu plus.
À la frontière, un douanier Canadien en uniforme nous a posé quelques questions avant de nous laisser continuer notre chemin. Dès que nous avons quitté cette propriété fédérale, les affiches ne nous souhaitaient plus la bienvenue au Canada, mais bien au Québec. Un simple coup d’œil aux environs suffit à confirmer que par ici les gens choisissent de faire flotter le fleurdelisé bleu et blanc du Québec plutôt que la feuille d’érable en rouge et blanc du Canada.
Alain, un de mes nouveaux amis motocyclistes canadiens-français m’a expliqué la relation historique avec la culture et les symboles Français. Le Québec actuel fait partie de ce qui était la Nouvelle-France, d’abord colonisée par les Français dès le début des années 1600. Pendant un siècle et demi, les trappeurs, les explorateurs, les fermiers et les missionnaires de l’Église Catholique Romaine ont exploré les terres et les cours d’eau. Ce faisant, ils ont construit des communautés qui établissaient la langue et la culture Française partout sur le territoire. En 1759 les forces Britanniques ont conquis Québec à la fameuse, mais très brève, bataille des Plaines d’Abraham. À peine quatre ans plus tard, l’essentiel des territoires et établissements français avaient été cédés à la Grande Bretagne. Mais deux siècles et demi plus tard, les Québécois montrent toujours un attachement inébranlable à leur héritage français.
À peu près 50 kilomètres après la frontière, nous nous installons à Notre-Dame-Des-Pins juste au nord de la ville de St-Georges de Beauce. C’est ici que des Canadiens-Français, des Anglo-Canadiens (incluant quelques transplantés de l’Angleterre et de Nouvelle-Zélande), ainsi qu’une poignée d’américains arrivant d’aussi loin que la Californie se réuniront pour rouler dans la région de la Beauce – une région de villes et de villages, de fermes et de nature sauvage située entre la ville de Québec et le Maine.
Au matin notre groupe tourne au nord-est à St-Georges pour suivre la route 204 qui serpente d’un village à l’autre au long des fermes et des boisés. Dans chaque communauté, à l’endroit le plus visible, se dresse une église catholique romaine – premier signe annonciateur d’une agglomération et un symbole durable de la tradition attachée à la culture Québécoise.
Près de St-Just-de-Bretenières et de Lac-Frontière, le Maine est à un jet de pierre à notre droite. Dans le passé, les résidents d’un côté comme de l’autre traversaient la frontière pour aller à l’église, faire le plein ou aller à l’épicerie avec un signe de la main à quelqu’un en uniforme pour seule formalité. La frontière entre la Canada et les États-Unis est la plus longue frontière internationale à n’être pas défendue, au sens militaire du terme – mais il faut de nos jours montrer patte blanche pour la traverser.
Passé Ste-Lucie-de Beauregard, la route 285 coupe au travers d’une dense forêt de pins. Les panneaux mettant en garde contre les orignaux sont plus fréquents que ceux des limites de vitesse. Les orignaux sont pratiquement invisibles dans la forêt et ils peuvent surgir sur la route sans avertissement. Les collisions entre les orignaux et les motocyclistes sont rarement à l’avantage du pilote.
À l’Islet-Sur-Mer, sur la rive sud du fleuve St-Laurent, nous nous sommes arrêtés à l’église Notre-Dame-de-Bonsecours, une imposante construction de pierre (circa 1768) avec deux clochers. Une vision impressionnante, avec la rivière et les marais en arrière-plan.
Une courte randonnée jusqu’à St-Jean-Port-Joli m’amène à découvrir ce qui sera le point saillant de ma journée : L’épopée de la moto. Ce musée a été fondé de 2003 par les frères François et Jean Gagnon. La collection compte plus de 100 motos, représentant 40 manufacturiers. Environ 70 motos sont en exposition de façon régulière.
Juste un peu plus haut sur la route, une affiche proclame « Les motos sont les bienvenues » – il n’en fallait pas plus pour nous inciter à arrêter pour le lunch. C’est à ce restaurant sur le bord de la route que j’aurai ma première dégustation de poutine – des frites servies avec du fromage en grains et de la sauce.
Cette curieuse combinaison de goûts et de texture, qui trouve son origine quelque part dans le Québec des années 50, a depuis migré partout au Canda où elle est devenue un incontournable des roulottes à frites, des petits restaurants du coin, des arénas et des chaînes de restauration rapide. (Soyez attentifs à la prononciation; on dit « poo-teen » pour les anglophones. Un ami s’est fait gentiment avertir qu’il était plutôt en train de demander une fille de joie !).
Rassasiés, nous rebroussons chemin sur la route 132. En roulant doucement sur la route qui longe le rivage, la symétrie des champs attire mon attention. Patty, native de Montréal, m’explique que cette disposition est ancrée dans plus de 400 ans d’histoire. Le découpage des terres a débuté le long du fleuve, en étroites bandes perpendiculaires à celui-ci, jusqu’à perte de vue. Ce patron est dérivé des façons de faire du 17ième siècle, alors que les seigneurs attribuaient l’usage des terres du Roi aux habitants. Les amateurs de hockey remarqueront d’ailleurs l’usage du surnom « Les Habitants » ou « Habs » pour désigner les Canadiens de Montréal, un autre clin d’œil à l’héritage Français.
Rendus à Lévis, notre intention de faire une visite touristique sur deux roues est contrecarrée par les détours causés par les travaux de construction (recalcul en cours…). Éventuellement, nous arrivons à l’embarquement du traversier et nous apprécions la brève traversée vers Québec – pour nous retrouver dans la congestion. Pour moi, une alternative intéressante était de stationner les motos et de visiter le vieux Québec à pieds. Si vous n’avez jamais visité une ville européenne, la ville de Québec vous procurera l’expérience la plus convaincante à l’extérieur de la zone Euro.
Connaissant mon affection pour les routes qui longent les rivières, Ray a suggéré une route alternative vers le campement. Je le suis sur l’autoroute 73 après la traversée du St-Laurent. À St-Lambert de Lauzon nous traversons la rivière Chaudière qui remonte jusqu’à notre campement plus de 65 kilomètres en amont. La route 171 serpente dans une zone aux grands espaces peu développés le long de la Chaudière jusqu’au village de Scott, où nous continuons sur une route secondaire pour longer la rive ouest de la rivière. La route change de nom à chaque village mais il est facile de suivre son chemin puisque la rivière est pratiquement toujours en vue. Plusieurs villages plus loin au sud, un pont à une seule voie à la structure d’acier mais avec un tablier de bois, nous ramène sur la route 173 et notre campement. Après le souper, les plans d’un feu de camp seront noyés par les orages qui détrempent la Beauce ce soir.
Au matin, la pluie est dissipée. Notre route suit encore une fois la Rivière Chaudière, cette fois vers le sud par la route 204. Les courbes et les dénivelés s’avèrent plus divertissants que ce que la carte routière ne pouvait le laisser deviner, et le ciel gris du matin est graduellement envahi par le soleil estival. À la pointe du Lac Mégantic, nous apprécions le paysage avant de reprendre la boucle vers le sud, puis le nord, pour rejoindre la route 161.
En traversant les érablières, nous pouvons voir les cordes de bois empilées proprement pour sécher avant de servir à chauffer les bouilloires le printemps prochain. Pour quiconque apprécie réellement les crêpes ou le pain doré, le sirop de poteau qui les accompagne trop souvent est un vrai sacrilège. Le sirop d’érable, le vrai, réduit à partir de la sève de l’érable à sucre, est nettement supérieur. Le Québec est, de loin, le producteur du meilleur sirop d’érable, et ce depuis des générations.
La voix australienne de mon GPS, celle que j’ai choisie parce qu’elle arrive à prononcer presque correctement les noms de lieux de ma Nouvelle-Angleterre natale, elle massacre la prononciation des noms de lieux en Français. Parfois c’est carrément inintelligible, d’autre fois c’est plutôt cocasse, comme lorsque « Le Mont Blanc » a été annoncé comme étant « Lee Montana Blank ».
C’est d’ailleurs ici, à Disraeli, que nous arrêterons pour le lunch et que je goûterai une autre spécialité du Québec, le sandwich à la viande fumée (smoked meat). Pendant que je fais la file pour commander, il y a un homme, qui était déjà attablé, qui remarque mon gilet du championnat de la Coupe Stanley des Bruins de Boston. (Oui, amateurs de hockey, je l’ai porté intentionnellement au Québec !). L’homme a marché vers moi, il a ouvert encore plus la fermeture éclair de mon manteau, puis il a souri. Je ne savais pas trop comment réagir jusqu’à ce qu’il pointe sa boucle de ceinture à l’effigie des Bruins de Boston. Il a souri et il a dit, tout simplement, « Stanley Cup ». Je lui ai retourné le sourire. Nous ne parlions pas la même langue, mais nous parlions le même langage. La rencontre inattendue d’un partisan des Bruins, en territoire des éternels rivaux que sont les Canadiens de Montréal, fût une occasion unique.
Après le lunch, nous avons continué vers l’ouest, sur la route161. Nous sommes dans la région des Bois-Francs, réputée pour la production de meubles, de cercueils et jusqu’à il y a quelques années, de bâtons de hockey. Aujourd’hui, à part quelques versions nostalgiques, les bâtons de hockey sont essentiellement faits de composites. À la maison, j’ai encore mon bâton de hockey « Victoriaville » en bois, un témoin du passé, fait au Québec. Juste comme nous arrivons à la ville de Victoriaville, celle dont les bâtons portent le nom, notre route nous mène sur la droite, vers Norbertville et la route 263 sud.
Nous sommes au début de l’après-midi et de nombreux motocyclistes profitent de la magnifique journée sur deux roues, parfois trois. Les Spyders de Can-Am originent de Valcourt tout près d’ici, et ils sont nombreux sur la route. Lorsque j’en croise un, je le salue avec trois doigts et je reçois un pouce dressé en signe d’approbation.
Alors que nous approchons de Thetford Mines, le paysage semble dominé par de très hautes montagnes rocheuses. Plus on approche, et plus je réalise qu’il s’agit en fait de montagnes de résidus d’exploitation minière. Leur énormité témoigne de l’envergure de l’activité minière depuis que les filons d’amiante ont été découverts ici vers 1860.
On roule vers le nord et l’est sur des routes secondaires et tout juste avant le pont vers Ste-Marie, on tourne à droite pour suivre la rivière qui avait marqué la fin de notre randonnée d’hier. De retour au campement, on empile le bois qui n’avait pas pu servir hier soir et on allume le feu de camp. La nuit tombée, le cercle métallique qui délimite le feu rougeoie pendant que Patty nous chante une sérénade en faisant aller ses doigts sur la guitare. Au matin, nous allons tous entamer le chemin du retour vers la maison – les uns tout près vers Québec, les autres aussi loin que le Texas, l’Alberta ou Terre-Neuve, mais pour l’instant la camaraderie des amateurs de longues distances brille bien plus longtemps que le feu.
Les béquilles sont redressées dès les premières lueurs du matin, dans la purée de pois d’un brouillard dense. Au premier virage après la rivière, un soleil splendide me rejoint et je vois Bob apparaître dans mes miroirs avec un arrière-plan de brouillard lourd qui s’accroche au fil de la rivière.
Notre chemin nous amène sur la route 108. Dans les environs, les producteurs cultivent des arbres de noël, une terre après l’autre, formant des rangées alignées aux hauteurs variables – plus d’arbres de noël qu’il n’en faudrait pour décorer un millier de vies. Le soleil est encore très bas sur ma gauche et cause une alternance de lumières et d’ombres qui coulent parfaitement au rythme des sapins méthodiquement espacés. L’effet visuel est un peu hypnotisant, mais la sagesse me fait garder toute mon attention vers l’avant – sagesse qui me sera confirmée lorsqu’un orignal apparaît tout à coup sur la route devant moi. Après avoir brièvement jeté un coup d’œil à la ronde, il disparaît tout aussi subtilement dans les bois.
Nous nous sommes arrêtés pour le petit déjeuner à Stanstead, juste avant de traverser la frontière vers Derby Line au Vermont. À partir d’ici, Steve s’en va vers le sud-ouest, Bob vers le sud-est alors que moi je m’en vais à peu près au milieu. Alors que je roule en solitaire vers la maison, je réfléchis aux derniers jours. Les routes et la camaraderie étaient très agréables, tout comme le fait d’en avoir appris un peu plus sur la culture Canadienne Française des Québécois.
Faire de la moto au Québec ? C’est magnifique !